Les Discussions Guidées

Dans le cadre de la préparation du Forum Génération Égalité (FGE) qui aura lieu à Mexico et à Paris en 2021, ONU Femmes organise les « Discussions Guidées» du FGE, une série de réunions multipartites et multigénérationnelles qui visent à promouvoir le dialogue entre les personnes du monde entier défendant l’égalité des sexes. Les Discussions Guidées abordent des thématiques transversales qui contribuent directement au FGE, en particulier en faisant émaner des recommandations concrètes sur la conception des événements et de la programmation du FGE, ainsi que la diffusion de bonnes pratiques qui favorisent la création de mouvements en faveur de l’égalité des sexes.

La première session, qui a lieu de manière virtuelle fin septembre 2020, a porté sur l’inclusion à plusieurs niveaux et l’intersectionnalité et a rassemblé d’éminentes personnalités féministes et des militant.e.s de la société civile. Parmi elles, la militante égyptienne Mozn Hassan et l’universitaire et juriste costaricienne Alda Facio partagent leurs réflexions et recommandations pour plus d’égalité et de justice.

Que signifient pour vous les notions d’inclusion et d’intersectionnalité dans le contexte dans lequel vous travaillez ?

Mozn Hassan : Il existe de multiples féminismes dans le mouvement et c’est là que l’intersectionnalité prend vie. Ces mouvements contribuent à des perspectives différentes dont il faut tenir compte puisqu’on observe un recul des droits des femmes dans de nombreuses régions du monde ; chaque perspective peut nous donner des indices sur la manière de contrer ce recul. C’est pourquoi nous devons renforcer les collaborations entre les communautés locales et internationales, afin de trouver des solutions novatrices aux problèmes.

Alda Facio : Il y a de nombreux points communs dans la discrimination et la violence à l’égard des femmes qui transcendent les frontières de la race, de la couleur, des croyances, de la nationalité, de la classe et de la culture, mais il y a aussi d’énormes différences. Si nous n’incluons pas toutes les femmes de tous âges et de toutes conditions dans notre réflexion, nous n’éliminerons jamais l’ensemble des discriminations structurelles et individuelles dont souffrent les femmes dans le monde entier. Ces formes croisées de discrimination se renforcent mutuellement et doivent être traitées de manière simultanée.

Pourquoi l’inclusion et l’intersectionnalité sont-elles des notions si cruciales dans l’atteinte de l’objectif de l’égalité des sexes ?

Mozn Hassan : Les décideurs politiques doivent s’éloigner des stéréotypes et s’impliquer concrètement avec nous, pas en simple qualité d’interlocuteurs, mais plutôt en tant que producteurs de connaissances, de narrateurs de nos situations et de créateurs de nos politiques. Ces décideurs doivent mettre nos opinions en avant et établir des liens entre notre mouvement et leur rôle. Nous devons examiner le type d’inégalités entre les sexes auxquelles nous sommes confrontés aujourd’hui, par exemple ce à quoi la communauté transgenre est confrontée, et nous devons concevoir des approches intersectionnelles spécifiques qu’il faudra inclure dans l’intégration de la dimension de genre, y compris au sein du système des Nations unies, notamment la manière dont les féministes font pression pour ajouter les violations des droits humains, la sexualité, le harcèlement sexuel et la violence comme des problématiques relevant du féminisme traditionnel.

Alda Facio : La discrimination n’est pas seulement un problème individuel, mais surtout un problème social qui demande une réaction globale qui va bien plus loin que les femmes en tant qu’individus. La discrimination intersectionnelle et les barrières structurelles très différentes auxquelles sont confrontées les femmes doivent être comprises et intégrées dans nos programmes pour l’égalité. Le problème ne réside pas dans le corps des femmes ni dans leurs identités diverses, mais dans les nombreuses barrières que la société a érigées pour les empêcher de participer pleinement à leur propre société.

En quoi consistent les obstacles du travail féministe en matière d’inclusivité et d’intersectionnalité ? Que faudrait-il changer ?

Mozn Hassan : Il nous faut créer des espaces plus ouverts et plus sûrs, propices à tout type de discussions, ceci pour favoriser l’émergence d’un récit qui soit réellement inclusif, et non plus adopter cette approche de « liste de courses » qui consiste à cocher des éléments l’un après l’autre. Il incombe également à la communauté internationale de créer une structure directe et transparente et de veiller à ce que les flux de ressources soient inclusifs et guidés par les communautés locales.

Alda Facio : Les féministes aussi ont parfois des points de vue contraires sur de nombreux enjeux. Alors, comment faire pour exprimer nos préoccupations de manière à inclure tout le monde ? En ce qui concerne l’intersectionnalité, le défi est de savoir comment reconnaître nos points communs malgré les différentes discriminations intersectionnelles que nous subissons afin qu’ensemble nous puissions former un puissant mouvement de femmes ayant la capacité de créer une société meilleure et plus juste.    

Si vous pouviez partager avec tout le monde un petit extrait de la discussion organisée sur l’inclusion à plusieurs niveaux et l’intersectionnalité, de quoi s’agirait-il ?

Mozn Hassan : Il faut que les parties prenantes aient cette conversation et qu’elles s’engagent ensemble pour construire un environnement plus inclusif et intersectionnel pour le mouvement féministe. Les ressources ne sont pas seulement une question d’argent, nous devons investir dans le mouvement en créant plus d’espaces pour mobiliser, rechercher et fournir des financements et répondre plus rapidement aux urgences.

Alda Facio : J’aimerais répéter et faire écho à ce qu’a mentionné une des participantes qui espérait que le terme d’intersectionnalité ne deviendrait pas juste un nouveau mot à la mode. C’est là ma plus grande crainte.

Dans quelle mesure les Discussions Guidées devraient-elles éclairer le processus du Forum Génération Égalité ?

Mozn Hassan : Le FGE pourrait tenter de rallier les parties prenantes afin de discuter et d’examiner la manière dont les ressources sont distribuées dans des zones géographiques comme la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient. De plus, il faudrait cibler des discussions plus structurelles, comme celle que nous avons eue, et surtout entre groupes et personnes à l’échelle régionale. Enfin, il faut s’assurer du maintien du financement des mouvements féministes afin que chaque groupe puisse produire ses propres connaissances et solutions et créer des espaces structurels propices aux idées, à l’indépendance et la viabilité.

Alda Facio : Je pense qu’il faudrait dans l’idéal définir ce que l’on entend par « intersectionnalité » et « inclusion à plusieurs niveaux » dans un dialogue franc et sérieux. Oui, une façon de le faire est d’écouter l’opinion des femmes, en particulier celles qui ont été réduites au silence et marginalisées, mais que faire si celles-ci ont des choses contradictoires à dire ? C’est encore ce qui s’est passé à Pékin, où le concept de « genre » n’a jamais été défini alors qu’il apparaît plus de 200 fois dans le programme d’action.

Pour vous et dans l’idéal, quelles seraient les meilleures retombées du Forum Génération Égalité ?

Mozn Hassan : Après les 25 ans d’existence du Programme d’action de Beijing, la communauté internationale se doit de soutenir les communautés locales en leur permettant de développer leurs récits propres et leurs mouvements. En tant que féministes, nous devons également utiliser cette approche tout en traitant avec différents féminismes du mouvement.

Alda Facio : Que nous puissions tous parvenir à un accord sur ce que « l’égalité des sexes » exige de chacun de nous. Il est grand temps que nous regardions aussi en notre for intérieur si l’on souhaite mieux comprendre la façon dont nous contribuons à tant de discrimination et d’actes de violence à l’encontre des femmes de tout âge.


Qu’est-ce qui vous tient éveillée ?

Mozn Hassan : C’est la passion que j’ai envers mon travail et la façon de travailler constamment à concevoir de nouveaux outils pour continuer à développer et à renforcer ces nombreuses facettes du féminisme dont nous avons parlées aujourd’hui.

Alda Facio : Pour moi, c’est le fait que les droits des femmes subissent des attaques sur de nombreux fronts et que nous avons perdu un grand nombre de nos acquis depuis Pékin. Nous assistons à l’effacement des femmes en tant que classe sociale dans de nombreuses régions du monde et, en parallèle, les attaques des groupes fondamentalistes se normalisent de plus en plus, à tel point que de nombreuses femmes ne savent pas vraiment ce que signifie l’égalité des sexes ou le genre à leur niveau, ni même ce qu’est l’égalité en termes concrets.

Qu’est-ce qui vous donne de l’espoir ?

Mozn Hassan : L’émergence incessante de nouveaux groupes au sein du mouvement et la façon dont ces derniers mettent en lumière les différentes luttes de la sexualité et du genre, ce qui contribue à renforcer encore et toujours la lutte contre la violence sexuelle à l’égard des femmes.

Alda Facio : Que tant de jeunes femmes deviennent féministes et travaillent dans une dynamique de créativité pour mettre un terme à la violence et à la discrimination dont nous sommes victimes.

 

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Mozn Hassan, 42 ans, est militante féministe dans la région d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, elle est animée par une passion pour la création de mouvements et la lutte contre les violences sexuelles. Elle vit au Caire, en Égypte.

Alda Facio, 72 ans, est l’une des cinq membres du groupe de travail des Nations unies sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles de la région ALC (groupe de réflexion sur la discrimination contre les jeunes filles et les jeunes femmes), ainsi que conseillère de plusieurs ONG féministes dans plusieurs parties du monde, dont le réseau de militantes JASS et l’Institut des droits humains fondamentaux des femmes (WHRI). Elle vit au Costa Rica.